Il suffit de quelques mots pour que tout se calme autour de nous, /
Du moins pour un moment. /
Ne serait-ce qu’un instant... /
Les mots ont une résonance suscitant des images. / /
De leur enchevêtrement subsistent quelques pensées disparates. /
Je m’empresse de les conserver avec précaution. /
Elles ont favorisé chez moi la venue de chansons, de tableaux. /
Et de bien d’autres choses. /
Sans elles le monde serait sans histoire. /
Il ne s’expliquerait pas comme on voudrait. /
Lorsque Jean Marchetti m’a proposé une édition, /
J’ai considéré que le format se prêtait à l’intimité de mes anciens poèmes. /
D’où le désir d’en écrire de nouveaux. /
Les petites peintures d’accompagnement s’y sont accolées /
Au fur et à mesure, hors du temps et en même temps. /
Un rêve de plus, /
En vertu de la confiance qu’offre l’inattendu... / /
Rapetissée à l’abri d’une poche /
ou exposée dans un salon, /
la raie des mots /
s’aligne sur la couleur des ondulations. / /
Jacques Charlier
YK Hairstyling
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Pour qui en est instruit, l’héraldique présente bien des charmes dans l’emploi
d’un vocabulaire singulier usant de formulations aussi curieuses
qu’anachroniques afin de décrire les blasons.
C’est qu’il faut savoir de quoi on parle ; point de couleurs mais des émaux :
Gueule, Azur, Sable, Sinople et Pourpre ; point de jaune ou de blanc mais des
métaux : l’Or ou l’Argent ; point de figures mais des Meubles ou des Pièces...
Clément Jacques-Vossen, volontiers iconoclaste, enfourche son Cheval de Bataille
et bouscule joyeusement mais sérieusement les pratiques de la peinture et celles
de l’iconographie traditionnelle en se représentant à travers différents
tableaux. Les autoportraits se succèdent comme le monstre de Frankenstein ou un
golem à qui je donne vie avec des pouvoirs magiques.
Il y a, en effet, de la magie dans ces peintures ; celle qui nous conduit à ne
plus savoir précisément quel est l’objet représenté et celle qui perturbe le
regard cherchant à décrypter les différents vocabulaires visuels entremêlés les
uns aux autres.
Et quand, enfin, tout est confondu, heureux le mortel fort en Gueule, vêtu de
Pourpre, allongé sur le Sable qui contemple l’Azur tandis que les Meubles,
objets utiles, envahissent les Pièces et les vieilles Armoires rient de tant de
faux secrets de famille ; l’Écu par-dessus tête.
Ma passion pour l’âge des ténèbres, qui n’était pas si sombre, n’est pas encore
terminée. (C. J-V.)
Laurent Busine
erró, la belle rosine, peintures, aquarelles & collages
13november 2023
-23december 2023
J’ai eu la chance de faire la connaissance d’Erró en 2016 lors d’une exposition
à la Fondation Folon. Ce fût une de ces belles rencontres que le métier de
conservateur nous offre. Nous avons partagé quelques moments inoubliables. Qui
le connaît apprécie son humour et sa générosité.
Quel message Erró nous adresse-t-il aujourd’hui avec cette interprétation de
« La belle Rosine », incarnation de la jeunesse éphémère confrontée à la mort ?
Nous savons que l’artiste islandais découpe sans relâche des documents issus de
tous bords qu’il collecte et conserve soigneusement. Ils surgissent quelquefois
des années plus tard. Cette nouvelle exposition à Bruxelles chez l’ami Marchetti
était sans doute l’occasion de valoriser l’oeuvre d’Antoine Wiertz. Erró se
sent-il intime du peintre belge qui maniait la dérision et surtout s’inscrivait
dans les combats philosophiques et politiques de son temps ?
Erró a construit un univers pictural composé d’une explosion de figures, de
monstres grimaçants ou d’anti-héros issus de la conscience collective, dans un
chaos visuel, reflet d’une époque bombardée d’images. Souvent, il assemble sa
peinture à des collages issus de l’imagerie de la bande dessinée, du cinéma ou
des arts plastiques. Leur rencontre incongrue crée la surprise. On pourrait y
voir le principe d’isolement cher aux surréalistes mais ces rapprochements
inattendus ne visent pas la même intention. Erró suggère une narration et
propose une approche plus sémiotique, une réflexion sur l’impact de l’image. Il
peut user de la même image dans une contexte différent qui va induire un tout
autre sens. Tel un témoin, il s’attaque avec ironie aux sujets de société –
surconsommation, fantasmes stéréotypés de la sexualité, fanatismes religieux –
ainsi qu’à la politique et à l’histoire contemporaine en pointant du doigt les
guerres, les totalitarismes, le racisme. « Je suis une sorte de chroniqueur, de
reporter qui rassemblerait toutes les images du monde et... je suis là pour en
faire la synthèse (1). »
Aujourd’hui, avec cette glorification de « La belle Rosine », l’artiste met en
valeur le concept de vanité, représentation allégorique de la fragilité de la
vie humaine ou celui de la danse macabre, principe d’égalité de tous devant la
mort. Quoi qu’il en soit par ce dialogue entre le squelette et la jeune femme,
il pose la question du temps et s’empare d’un vaste sujet philosophique :
« Faire bien n’est qu’une question de temps (2). »
Stéphanie Angelroth
1 - Se non è vero è ben trovato, Éditions La Pierre d’Alun, 2012, p. 13
2 - Antoine Wiertz, La belle Rosine, (1847), huile sur toile, 140 x 100 cm,
Musée Wiertz, Bruxelles.
Inscription sur le tableau voir :
https://fine-arts-museum.be/fr/la-collection/antoine-wiertz-la-belle-rosine
Cher Benjamin, il y a quelques années te visitant à Liège, tu dessinais alors
sur un pupitre d’écolier, ce qui m’avais surpris et au fond se justifiait.
N’est-ce pas notre première et commune table de travail ? J’en ressentais le
poids, le rappel à la contrainte, la mélancolie mais aussi la jubilation que
l’on découvre à écrire, dessiner les lettres, colorier, découper, coller, toutes
actions créatives qui naquirent sur ce meuble d’enfant. Chez bien des artistes
l’enfance heureusement persiste et participe à la construction imprévisible et
libre qui nourrit la vie.
Dessiner, est un terme générique bien vague, aussi l’as-tu affiné, rattaché à la
spécificité de la plume et l’encrier, en rappel aux gratte-papiers et copistes
d’hier et d’aujourd’hui. Tu accapares la couleur noire qui permet d’extraire tes
propres démons ! D’y associer l’espace de la page afin de provoquer des
rencontres improbables ou parfaitement raisonnées, ainsi peux-tu bousculer
l’ordre établi par de simples traits bien ajustés. Il en découle la possibilité
d’introduire le rire, la colère, le sexe, les jeux de mains et de vilains ! En
somme le Monde, la Vie...
Ta passion pour l’imprimé sous toutes ses formes, ton insatiable appétit de
collecter, rassembler, partager l’univers des revues, livres, fanzines,
graphzines, bandes dessinées, catalogues en tous genres, cet éclectisme
salvateur me réjouit, avec toi les encyclopédistes sont de retour...
La table lumineuse, réfléchit ta pensée, outil oh combien adapté à ton
imaginaire, en même temps que tu t’exprimes, elle t’éclaire... Le dialogue dans
tes derniers dessins s’anime par le mouvement mécanique, clés, ressorts,
chariots, bagnoles, avions, locomotives, vélos, autos et motos, le cheval se
décompose, l’escargot se chausse, petite dame et petit homme s’exhibent... Le
revolver parfois en interrompt la féerie et le tintamarre. La fête ne devrait
pas s’interrompre, la tête tourne, l’ivresse et le rire s’effacent, les ampoules
s’éteignent... Le lendemain tout recommence.
Daniel Nadaud
Les rouleaux de films qui sommeillent au fond du tiroir. Depuis une année,
parfois plus. Pas d’urgence, les images attendent patiemment d’être révélées et
d’être vues.
Ressorties une nuit d’insomnie, la maison dort toujours, je n’entends que ma
respiration dans l’obscurité quand je les glisse dans la cuve de développement.
Puis, je vais à la cuisine, je la pose, la vaisselle non lavée à côté, il pleut
dehors. Le rythme monotone des gestes, leur précision qui rassure.
L’odeur de la chimie, des produits qui s’écoulent dans la cuve. Le temps qui
passe. L’alchimie. Parfois je fais quelques pas de danse avec la cuve entre les
mains. Le chien se réveille, me regarde sans comprendre. Le dernier rinçage et
ça y est. Je vais me coucher. Le matin, les films développés sont toujours là,
secs, suspendus sur une corde à linge dans la cuisine. Je les regarde à la
lumière du jour.
Des images se bousculent. Des instants, captés en mouvement lors de l’un ou
l’autre voyage, à peine aperçus, des mauvaises herbes glanées au bord de la
route pendant que le paysage défilait me reviennent des années plus tard et se
dessinent maintenant avec précision sur la pellicule.
Un bateau découpe l’horizon. Une sirène lointaine. Le clapotis de l’eau. Les pas
sur la neige. Le silence d’un lac glacé. Une joie soudaine. Un réverbère. Une
rue vide. Le bourdonnement d’une mouche derrière le rideau. La douceur des
draps. Le sommeil.
Ces derniers mois je dors à nouveau mieux. Mes nuits sont denses de rêves. Le
jour, j’attends avec impatience l’arrivée du soir et du sommeil.
Dormir. Se glisser lentement dans l’eau froide. Pas après pas. Le cœur qui bat
trop vite. Après un moment d’hésitation, plonger la tête. Un bref frisson et ça
y est. Je suis de l’autre côté.
Des miettes éparpillées d’un carnaval oublié dessinent une toute nouvelle
constellation.
Les cris des oiseaux deviennent bizarres. Une mouette me regarde dans son vol.
Où suis-je maintenant ? L’eau est douce, rassurante. Le clapotis des vagues me
berce, découpe le paysage aux alentours en mille morceaux. J’entends un rire. De
quel côté vient-il ?
L’eau est sombre et dense comme du goudron. Immobile. Toujours ce rire. Je me
réveille en nage. La respiration violente, comme si je sortais la tête hors de
l’eau.
La persistance rétinienne. La lumière qui dessine des formes au fond de l’œil.
La lumière qui noircit la pellicule, image après image. La lumière qui grave la
mémoire. Qui se glisse sous les paupières dans les rêves.
Beata Szparagowska
L’atelier est un cube blanc d’une vingtaine de mètres carrés densément peuplés.
Gris, monochrome.
Des châssis en attente d’un côté, des tables qui semblent chacune avoir une
fonction, une douzaine de ciseaux suspendus côte à côte, des agrafeuses, des
boîtes rangées, des bocaux et produits accumulés, des pots à crayons et à
pinceaux. Des images épinglées, superposées, apposées. Répétitions. Des piles de
journaux. Des carnets. Des objets, en nombre et toujours regroupés. Un espace
qui se crée par la mise en liens de petits riens. Un livre de G. Didi-Huberman :
Quand les images prennent position. D’autres livres : Journal de travail de B.
Brecht ; Et si je suis désespéré que voulez-vous que j’y fasse de G. Anders ; le
Manuscrit de 1942 de W. Heisenberg ; ou des extraits de Kubark. Obnubilation.
Idée fixe.
Surtout, des photos : une main tordue au sol, un loup, des forêts, des
pelleteuses, des scènes de guerre ou de déboisement, une ville bombardée, une
succession de visages de victimes ou d’accusés. Et des coupures de journaux,
sans date, sans contexte. Parfois uniquement le titre d’un article découpé :
« Au bord du vide ». Le tout en noir et blanc. Aucune couleur. Le bruit des
guerres, le son en moins. La géographie de la destruction et le vacarme du monde
pénètrent l’espace de l’atelier par touches d’images et de mots. Les camps, les
goulags, la déportation, la torture, l’oubli. L’isolement, l’ailleurs, la fuite,
le refuge, la solitude. Destruction par l’homme. Irrésolution. Répétitions de
l’histoire.
Les peintures et dessins, aux murs et sur les tables. Les couleurs apparaissent
alors, très souvent ternes – verts délavés et embrumés, gris chauds et
poussiéreux, de grands aplats noirs –, parfois très vives – un jaune ou un vert
presque purs, arbitraires. Anéantissement. Monochrome. Désolations.
La succession, la mise côte à côte, l’accumulation de traces suscitent quelque
chose qui n’est pas dit. Fragments. (D)énonciation silencieuse.
Aucun visage n’est reconnaissable dans les œuvres. Terminées, en cours ou étapes
de recherche, il est difficile de donner un statut à ces images. Elles sont
simples, sans mise en scène, presque anecdotiques. Mais elles sont puissantes,
toujours. Et évocatrices. Images simples, qui se lisent seules ou par
associations. Répétition.
Un arbre isolé et ébranché. Des silhouettes fantomatiques qui avancent lentement
vers un inexorable rien, coincées entre un ciel menaçant et une terre vide. Un
pavé, écrasant. Un tas de décombres. Un micro. Un homme penché, bras dans le
dos. Une cage. Des grilles. Des éléments architecturaux, détruits ou à l’inverse
froids et immaculés. La reconstitution d’une coupure de journal, les mots en
moins. Une montagne renversée. Des taches blanches, comme autant d’explosions
aveuglantes. De la fumée. Des taches d’huile ou de sang. Quelques mains, tendues
vers on se sait quoi, ou alors inertes. Une paire de lunettes brisée. Des
oreilles. Empêchements.
Si les œuvres semblent muettes – pas une bouche, pas un œil n’est représenté –,
l’évocation de la dévastation est partout. Vestiges. Témoin d’un saccage. Des
oreilles, encore. Quand les images prennent position...
Répétition générale.
David Scheer
Plans de vol
Dans ma peinture, l’espace non peint est le plein, c’est le monde visible.
Mon espace peint devient le vide, c’est le monde invisible.
Je joue avec le visible et l’invisible.
Le ciel est visible, il est rempli et je vais le vider par ma trace. Pour les
yeux humains, la trace d’un avion de voltige est invisible et je vais la rendre
visible à travers la calligraphie.
Comme peintre et calligraphe, je cherche et montre que l’objectif de cette
trace, écrite par l’avion dans le ciel, est artistique. Ma calligraphie n’est
pas immédiate, il y a une méditation intérieure et elle n’est pas aléatoire.
Elle est le résultat d’une succession linéaire très précise. Je sais où je
vais commencer et où je vais terminer.
Selon la trame de l’histoire que je vais raconter, je réfléchis au pinceau, à
l’encre et au support que je vais utiliser.
J’adore le papier pour son côté pénétrant, la vitre pour sa translucidité, le
plexi pour sa flexibilité, la fresque pour sa vision monumentale, la toile pour
le grain qu’elle dégage.
Il y a une grammaire dans cette calligraphie, comme dans la voltige aérienne.
Pour écrire une histoire, je suis comme le pilote qui utilise cet alphabet
très particulier de figures, ce langage très codifié repris dans un
dictionnaire : le code Aresti.
Un programme de vol est composé d’une combinaison d’une dizaine à une
vingtaine de figures. Les différents enchaînements de symboles donnent le
caractère propre du rythme, du souffle et de l’énergie du vol. Quand je peins,
j’exécute cette chorégraphie précise.
L’idée d’entamer ce parcours calligraphique m’est venue il y a une dizaine
d’années. Juge dans une compétition, j’avais dans les mains un programme de
voltige avec toutes les figures enchaînées. Comment pouvais-je réaliser cela en
peinture ?
Le début de ce travail est également lié à mon expérience de pilote et à
ce souvenir d’adolescence où mon père, pilote, me demandait de dessiner son
vol sur une vitre.
Tous ces éléments m’ont permis d’accéder à cette nouvelle étape de mon
travail artistique. Je suis un scribe du ciel et des pilotes.
esteban Moulin
Les deux dimensions, les encres et les teintes estampées sur papier, tout nous
porte à croire qu'il s'agit ici de gravure mâtinée de photographie. Dès lors,
comme cela se fait le plus souvent, on pourrait regarder ces œuvres de Patrick
Van Ghendt en jaugeant le savoir-faire dont elles procèdent, en essayant de
deviner ce qu'elles représentent, voire pour les plus experts d'entre nous, en
tentant de mettre à jour les influences artistiques de leur auteur.Leur facture,
la façon de les présenter, mais aussi le contexte de la galerie, tout en fait
nous incite à décrypter ces images, à en soupeser le sens ou les intentions,
bref à les lire alors qu'il serait plus judicieux de simplement les voir.Voir
comme on le fait plus facilement avec les autres sens, en baissant la garde de
l'intellect et en se laissant gagner par des sensations. Voir comme on le fait
en fermant les yeux car c'est à cette condition que l'on reconnait – chacun a pu
en faire l'expérience – non pas une quelconque réalité, mais plutôt le souvenir
enfoui, si intime et si précieux, d'une impression fugace que celle-ci nous a un
jour laissée.Entrevoir en quelque sorte et pour cela, au préalable
expérimenter.Expérimenter les espaces ouverts par l'artiste, dans cette
troisième dimension indissociable de sa pratique d'architecte. Y cheminer du
regard, se faufiler dans les dédales pour y retrouver des fragments de vie
flottant en deçà de la conscience. Mais aussi, filer droit dans la profondeur
sans se soucier des cloisonnements successifs, la mémoire aux aguets, prête à
débusquer ces impressions pures, non perverties par le langage, gravées
profondément en nous par la lumière du temps où l'on ne pouvait rien nommer, du
temps où l'on pouvait seulement ressentir.Expérimenter ces images en se passant
des mots et de leur poids de conventions. Expérimenter comme des enfants qui
plissent leurs paupières face au soleil pour le seul plaisir des formes et, in
fine, débouler dans une quatrième dimension insoupçonnée.Jean-Marc Bodson
précis de la rencontre de ces deux atmosphères colorées m’a toujours
fascinée. La toute première photographie de cette série date de 1997. Il
s’agit de mon autoportrait dans l’intimité de mon studio à Berlin. Je suis
devant une fenêtre ouverte, au crépuscule. Une lumière rouge, opaque,
m’entoure et recouvre mon visage. Cet effet a été obtenu par une mise au point
sur l’arrière-plan extérieur et non sur mon visage. Ce jeu de flou et de net
est devenu par la suite mon modus operandi, même s’il m’a fallu plusieurs
années pour mûrir ce qui allait devenir Entre chien et loup. Dans cette
série, la couleur bleu symbolise le monde extérieur, la réalité objective et
l’inconnu. Le rouge, quant à lui, représente mes souvenirs, mes rêves, mon
univers intérieur. Cette couleur a toujours évoqué pour moi l’idée de
protection, de chaleur et de bien-être. Au début des années 1980, à l’âge
de vingt ans, j’ai quitté le Japon pour l’Europe. Depuis lors, j’ai vécu à
l’étranger. Alors que je préparais les papiers nécessaires à mon départ, ma
mère m’a appris que mon père n’était pas japonais. Ses parents à lui
étaient des Coréens qui ont émigré au Japon durant la période du
colonialisme nippon, sans doute dans les années 1920, mais je ne le sais pas
vraiment. Pendant tout le temps de cet échange avec ma mère, mon père est
resté caché derrière la porte. C’est la découverte de ce passé qui m’a
sensibilisée aux problèmes des minorités et des diasporas, aux nationalismes
et aux questions identitaires. Je ne m’exprime pas directement sur ces sujets
dans mon travail, mais ils sont au cœur de mes créations. Mon père était
présent, mais absent. Il a vécu avec nous, mais il faisait le vide autour de
lui. C’est ce vide que je retrouve aujourd’hui dans l’absence de visage de mes
portraits de la série Entre chien et loup. Ce visage sans trait est devenu le
symbole des absurdités sociales et identitaires de notre monde. Yu Hirai
*** Français ***
Je suis né à Hunslet, un petit faubourg de Leeds. Comme mes deux parents
travaillaient, j’ai fréquenté la crèche locale.À la fin de mon premier
trimestre, les enseignants ont organisé une journée portes ouvertes pour
célébrer les activités des enfants. Mes parents sont venus à l’événement et ont
remarqué trois grandes tables remplies de nombreuses figurines en argile.
« Lequel de ces objets a fabriqué notre fils Glen ? » a demandé ma mère. « Ces
deux tables. » a répondu l’enseignant.Les sonnettes d’alarme ont clairement
retenti...J’ai continué à aller à l’école bien que ce soit une période
difficile. Je bégayais et mes parents craignaient que cela n’affecte mon travail
scolaire.Je me souviens qu’un jour, ma mère m’a envoyé dans les magasins du coin
pour acheter un bouton de col pour la chemise de mon père. Très nerveux, alors
que je me dirigeais vers les commerces, j’ai commencé à répéter mon discours,
testant différentes combinaisons de « Bonjour, je voudrais acheter un bouton de
col, s’il vous plaît ».Enfin, je suis arrivé à l’entrée du magasin où j’ai
courageusement avancé. Le vendeur me fixait de derrière le comptoir. J’ai réussi
à parler sans la moindre trace de bégaiement. L’assistant m’a regardé,
totalement stupéfait. Après une longue pause, il dit : « Je pense que vous
aimeriez essayer la boutique voisine. » Je me tournai pour sortir et réalisai
que je me trouvais dans une boutique de meubles. J’étais tellement concentré sur
mon discours que je m’étais trompé de magasin.J’avais dit les bons mots, mais au
mauvais endroit.Quelques années plus tard, quand je suis allé à l’école d’art,
j’ai découvert le travail d’André Breton. Il décrivait le surréalisme et, là,
j’ai réalisé que j’étais déjà un surréaliste à l’âge de 16 ans.J’ai passé 5 ans
à l’école d’art et j’ai été fasciné par les peintures de Giorgio di Chirico et
les romans-collages de Max Ernst. À cette époque, l’école se focalisait
principalement sur l’abstraction et la plupart des travaux pastichaient
l’expressionnisme abstrait américain. J’étais beaucoup plus intrigué par Dada et
le surréalisme, ainsi que par la notion de vie d’artiste d’Erik Satie.Il me
semblait que j’étais la bonne personne au mauvais endroit.J’ai quitté l’école
d’art, désillusionné, et je suis parti vivre et travailler à Londres, où j’ai
commencé à écrire des poèmes en prose et à faire de petits dessins.En 1974, les
poètes américains Larry Fagin et Ron Padgett m’ont invité à lire mes œuvres dans
le cadre du Poetry Project à New York, devant un public réuni dans la légendaire
église St Mark’s, dans le Lower East Side. La réaction a été totalement
enthousiaste. J’étais au paradis. L’écrivain américain et membre de l’Oulipo,
Harry Matthews, est venu me féliciter.Plus tard, cette année-là, s’est ouverte
ma première exposition de dessins à la Gotham Book Mart Gallery.Bizarrement,
j’avais réussi à combiner des images et des mots d’une manière qui était
absolument anglaise, quoique devant beaucoup à l’esprit du surréalisme
européen.Glen Baxter 2022
*** English ***
I was born in Hunslet, a tiny suburb of Leeds. Both my parents were working so I
was sent to the local nursery.At the end of my first term there, the teachers
held an open day to celebrate the activities of the children. My parents came
along to the event and noticed 3 large tables filled with lots of tiny clay
figures.“Which of these did our son Glen make?” asked my mother “These 2 tables”
replied the teacher.Warning bells were clearly sounding…I carried on at school
although these were difficult times. I had a stammer and my parents were worried
it would affect my school work.I remember one day my mother sent me off the
local shops to buy a collar stud for my father’s shirt.I was very nervous and as
I set off to walk to the shops I began rehearsing my speech, trying various
combinations of “Good Morning, I’d like to buy a collar stud please.”Finally, I
arrived at the entrance to the shop, and marched bravely in. The shop assistant
stared at me from behind the counter. I managed to speak without a trace of a
stammer.The assistant looked at me in total astonishment after a long pause he
said “I think you might like to try the shop next door”.I turned to exit and
then realized I was standing in a furniture shop.I had been focussing so much on
making my speech I had gone into the wrong shop.I had said the correct words,
but in the wrong place.A few years later, when I went to art school I discovered
the work of André Breton. He was describing surrealism and that’s when I
realized I was already a surrealist at the age of 16.I spent 5 years at art
school and became fascinated by the paintings of Giorgio di Chirico and the
collage novels of Max Ernst. At this time the art school was mainly focussed on
abstraction and much of the work was a pastiche of American abstract
expressionism.I was much more intrigued by Dada & surrealism and Erik Satie’s
notion of an artist’s life.I seemed I was the right person in the wrong place.I
left art school, disillusioned and moved to live & work in London, where I began
to write prose poems & make small drawings.In 1974 I was invited by the American
poets Larry Fagin & Ron Padgett to read my works at the Poetry Project in New
York.I stood before an audience at the legendary venue-St. Mark’s Church on the
Lower East Side and I read my works.The reaction was totally enthusiastic. I was
in heaven.The American writer and Oulipo Member, Harry Matthews came up to
congratulate me.Later that year I had my first exhibition of drawings at the
Gotham Book Mart Gallery.Somehow I had managed to combine images and words in a
way that was definitely English though owes a great debt to the spirit of
European surrealism.Glen Baxter 2022