Opera de Saint-Etienne Jean-Baptiste Doulcet

Contrairement à la vision, qui s’inscrit dans le temps, l’apparition est éphémère et induit conséquemment une disparition.

Qu’il s’agisse d’une apparition mortifère (le tilleul de Der Lindenbaum qui se fait le messager d’un repos éternel), d’une apparition amoureuse (Ständchen von Shakespeare) ou de l’apparition de la Vierge (l’Ave Maria), le lied germanique chez Schubert vient nourrir cette idée de la représentation, jusqu’à la Wanderer-Fantasie dont la source provient justement du chant. Chez Franz Liszt, la dimension est tout autre : il n’y a pas de théâtre dans cette apparition, mais plutôt une immobilité de peintre qui fait apparaître les couleurs par touches ; quel étrange sentiment nous saisit quand les Nuages gris virent à La Notte... L’Apparition, chez Liszt, est une affaire de glissement, de chromatisme, de lumières qui se dégradent jusqu’à un certain état. L’apparition est figée, à la limite du palpable, puis elle s’évanouit. Ce glissement, c’est un glissement du langage ; le siècle qui trace sa route et ouvre sa voie vers un autre. Berg, en citant Nuages gris, fabrique le relais d’un langage vers un autre, qui ne cesse de faire apparaître, justement, les fantômes du passé : le contrepoint de Bach, le legato de Brahms, le chromatisme extasié du dernier Liszt. Alors je me dis que tout cela n’est qu’une grande apparition, comme des moments d’égarement où les yeux et les oreilles de ces compositeurs se sont un instant perdus de l’autre côté de leur siècle. Apparaissent des héritages, des lendemains, des questionnements, des figures tutélaires, des angoisses, des rêves et des fantasmes. Les apparitions se reforment : elles nous traversent nous, aujourd’hui, en un siècle nouveau, et reviennent questionner nos statuts de fantômes.Jean-Baptiste Doulcet