Dans Europe connexion, Alexandra Badea dépeint le trajet d’un lobbyiste qui met
tout en œuvre pour modifier les textes de lois votés au Parlement Européen afin
de servir les intérêts de l’agro- business. Le lobbyiste parle, il s’empare des
mots avec élégance les lisse au besoin sous d’autres plus fréquentables. Qui
pourrait douter de lui ? Pourtant derrière chacun de ses succès, réside un
désastre pour l’humanité…
Le G.I.E.C. crie. Le monde est sourd. Notre système économique engloutit le
vivant dans une boulimie démesurée. Nous sommes devenus nos propres prédateurs.
Les monstres mythologiques étaient censés inspirer au public « terreur et pitié
», les nôtres, devenus prescripteurs des normes et règles de nos vies, y
substituent « fiabilité et admiration », aidés du pouvoir de la rhétorique qui
transfigure le réel, et dont Alexandra Badea nous invite à disséquer les
mécanismes impitoyables, dans une écriture au scalpel aussi politique que
poétique qui glace par le réalisme de ses propos, ne nous laissant à son issue
qu’une rage salvatrice.
La reprise d’un succès en phase avec l’actualité qui, sans didactisme, nous nous
encourage à combattre l’inertie du temps.
Théâtre des Martyrs
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Avec Marche salope (1), Céline Chariot aborde le sujet du viol, interrogeant le
mutisme qui entoure les agressions sexuelles. « La vraie question n’est pas de
savoir pourquoi je parle, mais pourquoi je n’ai pas parlé » écrit-elle.
Aujourd’hui, elle part de constats et de statistiques, pas d’une colère
irrationnelle ; elle ne veut ni écrire de fiction édulcorée, ni chercher à
raconter l’histoire des femmes et encore moins la sienne, ni à brûler les
hommes, ni à faire justice.
En reconstituant une scène de crime, par le biais d’un geste accessible, fort,
documenté et poétique, travaillant à un acte artistique qui puisse révéler une
certaine beauté tout en pouvant transcender la douleur de gestes passés, Céline
Chariot, qui n’est ni danseuse, ni actrice, mais photographe, aborde le viol via
le regard, via des sensations qui ont pour but la réflexion, et rappelle que
dans cette transgression odieuse qu’est le viol, le crime n’est pas uniquement
celui du violeur mais surtout celui d’un corps social qui pointe la victime
comme responsable de son sort.
Dans une forme originale où se mêlent texte, performance, silence, regard,
reconstitution du réel et onirisme, le spectacle invite puissamment à la
transformation des traumatismes du passé en une puissante frénésie d’en finir
avec les inégalités de genre.
(1) La Slutwalk, ou « Marche des salopes », est une marche de protestation née
en avril 2011 au Canada après qu’un officier de police ait déclaré : « Si vous
voulez éviter de vous faire violer, il faut éviter de s’habiller comme une
salope »
Sérieux, moche, compliqué, bref, pas sexy, voici quelques-uns des clichés
véhiculés sur la musique contemporaine que dynamite joyeusement Sarah Defrise,
élue « Jeune musicienne de l’année » en 2012 par l’Union de la presse musicale
belge. Elle nous offre de découvrir une musique aussi décriée que méconnue,
maniant l’humour caustique, dans un univers déjanté qu’elle nourrit de sa voix
et de ses expériences, et une sélection d’œuvres interprétées a cappella. Entre
les phonèmes, les onomatopées, les références aux comics américains, la musique
minimaliste, la musique cyclique et même quelques élans orgasmiques, la soprano
trouve le terrain de jeu idéal pour sa voix et ses talents de comédienne.
I hate new music change notre façon d’écouter, en une exploration sensorielle,
tonique et onirique qui se dessine main dans la main avec une artiste
passionnée, généreuse et bienveillante.
Une approche accessible, et drôle, de ce répertoire inhabituel, pourtant si
proche de nous, qui s’adresse à tous les amateurs de musique.
Un père et sa fille au Japon. Lui est artiste peintre et maître de Kendo. Il ne
s’est pas préoccupé d’elle, n’a pas soutenu financièrement sa famille, ne
sachant pas ce qu’impliquait d’être père… Petite, elle avait honte de lui et
s’inquiétait d’être différente des autres ; elle voulait être forte, apprendre
le kendo. Il lui disait « Tu es déjà plus forte que moi, tu n’en as pas besoin
». « Quelle est la chose plus importante dans la vie ? » lui avait-elle demandé.
« La beauté » Iui avait-il répondu.
Devenue artiste en Europe, elle lui demande « Pourquoi la vie est une telle
souffrance ? ». « Parce que tu es toujours sur ton ego » Iui répond-il, ajoutant
que l’unique moyen de s’en libérer est d’entrer en dialogue avec son art.
« Hikidashi » signifie « tiroir » en japonais. La fille y a conservé tous les
souvenirs de son père. Aujourd’hui, elle doit mettre sa tête dans ce tiroir.
Elle y trouvera : un caillou, un petit insecte, un vieux porte-monnaie, vestiges
intimes fourrés dans un meuble, sans sélection, ni jugement, qui ressurgissent
sur le plateau. Elle n’a aucune expérience d’une relation normale père-fille.
Néanmoins, cette pièce parle du sien, sans doute particulier au Japon, mais
c’est son père. Ce qui pose une question plus générale : les hommes sont-ils
aptes à être père ?
Past events
« J’aime faire rire. Pour moi, c’est une politesse. » dit Léonard
Berthet-Rivière. Quiconque a vu ou verra le spectacle qui plonge dans les
arcanes d’une histoire abracadabradantesque, trouvera ce jeune homme et sa
complice Muriel Legrand de fait immensément polis. Qu’on en juge un peu : soit
un vaudeville à table (ou presque), quatre actes, treize personnages, un acteur
et une actrice ; soit une vendetta ourdie par Gérard contre son concurrent
Raymond, le jour où celui-ci vient enlever sa maîtresse, Inès, femme de Gérard,
alors que Frédéric, le fils de Raymond vient demander la main de Sophie, la
fille de Gérard, enceinte jusqu’au yeux… Tous les ingrédients d’un vaudeville
roboratif et d’une folle journée réunis sous la plume magistrale de Roger Dupré
dans laquelle s’engouffrent l’actrice et l’acteur surfant sur l’absurdité d’une
partition frénétique où la fantaisie mène le bal, et dans lequel on passe de la
lecture savoureuse à deux têtes à une danse endiablée à mille bras.
Symbolique et poétique, loufoque mais jamais dingue, Le mystère du gant pousse
la tradition vaudevillesque à son paroxysme, touche l’absurde et ne se refuse
aucune astuce pour nous redonner goût aux histoires.
Un pied de nez salutaire à la sériosité et à la morosité qui fait beaucoup de
bien.
Louis est un homme un peu esseulé. Bénévole dans un centre de revalidation pour
oiseaux, il croise une cane blessée, à l’œil vif mais fuyant, dont il va prendre
soin chez lui et qu’il nomme Frou-Frou. Pourra-t-elle voler de nouveau ? Au prix
de quelles péripéties ? Et dans cette rencontre lumineuse et poignante, qui aide
l’autre finalement ?
Premier texte du recueil Nous sommes à la lisière consacré aux alliances
délicates entre la vie sauvage et le monde des humains, Frou-Frou, une vie
sauvage, parabole d’une émancipation conjointe, étonne, bouscule et touche.
Avec sa lucidité coutumière, Caroline Lamarche aborde les enjeux contemporains
de la biodiversité tout en déployant une « histoire de bêtes » aussi concrète
qu’extraordinaire. Elle nous enjoint à la nécessité de protéger le vivant, elle
nous dit la violence sous-jacente de notre monde, la difficulté à s’y faire une
place, nous alerte du risque aussi d’avoir un jour un ciel sans volatiles ; son
écriture ramifiée trouve en Gaëtan Lejeune l’interprète idéal d’une narration
aérienne et précise.
Un seul en scène sur le fil, intime et fluide, mais aussi vif et sauvage, sur
les interdépendances de l’animal et l’humain, et leurs fragilités mutuelles. En
prise constante avec la terre, Frou-Frou, une vie sauvage nous fait rêver très
haut, sourire au cœur.
Entracte c’est une pause entre deux moments d’agitation, un arrêt qui offre une
place à la divagation, et c’est ici le récit de deux solitudes : celles d’une
actrice et d’un acteur, maquillés, costumés, accessoirisés, mais sans partenaire
et sans public. Revêtus des habits des rôles shakespeariens qu’ils ont joués ou
rêvés de jouer – ceux d’Elisabeth Ire, d’Henry V, de Macbeth, de Lady Macbeth,
d’Hamlet, de Roméo, de Juliette -, usant d’eux comme d’un bouclier pour se
protéger de leurs angoisses, ils cherchent, loin des théâtres éteints, à
résister à l’étouffement de l’isolement, retrouver du sens à leurs destins et à
ne pas tomber dans l’oubli.
Reclus l’une et l’autre dans leur cabane respective, ils effectuent
inlassablement les gestes du quotidien, qui, sans jamais perdre en force,
s’atténuent au fil du temps et de l’usure des corps affaiblis, faute de
n’expérimenter que le nécessaire : manger, dormir, se changer, se laver.
Entracte c’est le pari audacieux de revivre l’enfermement pour mieux s’en
libérer : Lady Macbeth renverse du ketchup et la voilà avec les mains
ensanglantées, Hamlet coupe du saucisson et le voilà avec un poignard dans la
main.
Un spectacle qui n’hésite pas à tirer les ficelles de l’absurde et du poétique
pour nous plonger dans un univers de fantaisie dans lequel Delphine Bibet et
Alexandre Trocki excelleront à n’en pas douter.
Dans L’apocalypse heureuse, Stéphane Lambert revient sur sa propre histoire pour
en dénouer les nœuds et passe par le geste de l’écriture pour sortir du
labyrinthe de la souffrance, dépeignant la mémoire traumatique de l’enfant abusé
qu’il a été, en retraçant les contours pour pouvoir mener sa vie d’adulte sur un
chemin plus apaisé. Convoquant de nouveau les faits vécus, il tisse une toile
qui prend l’universel pour périmètre.
La maison en Bretagne, la séparation des parents, le déménagement avec la mère,
la mort d’un amour, la découverte d’un autre, la mort du père, les flux croisés
de la vie passée et du temps présent, autant d’arrêts qui balisent « cet
itinéraire du soi » qui permet d’aller vers demain.
D’une grande douceur, le
texte nous dit l’urgence de vivre, d’aimer pour vaincre la mort et les spectres
qui nous retiennent à eux, nous invitant à les affronter sans baisser les yeux.
Écrit à la première personne du singulier, le récit nous invite à parcourir,
sans faux-semblants, l’intimité des souvenirs, confrontant l’adulte avec les
chocs, les culpabilités, et les non-dits qui ont marqué l’enfance.
Jean-Baptiste Delcourt, en étroite collaboration avec l’auteur, adapte ce récit
à la scène, avec pour désir d’en faire entendre la parole au présent et d’en
faire partager l’esprit de conquête d’une renaissance.
L’histoire du Woyzeck de Büchner est simple, efficace et glaçante : un jeune
soldat se porte à la fois volontaire pour être cobaye auprès d’un médecin contre
de l’argent et, comme subalterne de son capitaine de garnison, sombre dans la
folie et poignarde sa femme.
Avec Marie et Woyzeck, Pauline d’Ollone s’inspire de ce classique inachevé du
dix-neuvième siècle, déplaçant l’action de la caserne d’hier à l’entrepôt de la
grande distribution d’aujourd’hui, pour interroger nos systèmes de production
actuels et les maux qui en découlent, abrutissant les égarés de l’existence qui
s’y enrôlent pour subsister.
Elle s’en empare sans rien lui ôter de sa réalité diffractée. À la négativité de
la marchandisation de l’être humain considéré comme une ressource à optimiser,
elle oppose le feu créateur de la musique et de la poésie : toujours plus de
beauté, toujours plus de rêve et d’humanité, toujours plus de sororité et de
fraternité.
Elle l’enrichit d’un procès, celui du meurtre de Marie, du féminicide commis par
Woyzeck, instruisant deux questions : La violence d’un homme est-elle aveugle à
tout autre choix que celui « d’user » et donc de tuer ce qu’il considère comme
sa propriété ? Ou bien n’est-elle que la conséquence de la petite graine qui a
patiemment poussé, arrosée qu’elle était chaque jour par une idéologie
patriarcale, capitaliste et sexiste ?
Seule sur scène, une femme se fait l’enquêtrice de sa propre vie : la rencontre,
la vie de couple, la confiance partagée, la fierté de celui qu’elle aime d’être
son élu, les enfants qui naissent, sa vie professionnelle, le poste qu’elle a
obtenu au culot, la boîte fondée avec un collègue qui atteindra bientôt les
sommets. Elle nous ressemble, elle nous fait rire, cette femme, puis l’humour
s’estompe, et le drame infuse peu à peu sa voix comme l’encre le fait sur un
buvard et son récit, débuté comme un stand-up, se poursuit insidieusement en
thriller rongé par l’acide d’une masculinité toxique, pour aboutir à la
tragédie.
Construit comme un puzzle, nous faisant passer du rire à l’effroi, Girls and
boys est un texte où l’on retrouve le ton acerbe et critique, l’humour noir et
le regard sans concession du scénariste et dramaturge qui ont valu à Dennis
Kelly d’être catalogué comme écrivain d’un théâtre in-yer-face (théâtre coup de
poing). France Bastoen, comme l’a écrit le journaliste Didier Béclard, « habite
magistralement cette femme et l’actrice désignée meilleure interprète par les
Prix Maeterlinck de la Critique en 2022, épouse les émotions contrastées de son
personnage avec une force et une justesse impressionnantes ».
Les six dernières représentations bruxelloises d’un spectacle magistral.
Depuis une rencontre à Linden à l’hiver 1960, Eugénie, fille de garde-chasse à
l’accent teinté d’un patois flamand, et Clairette, fille du général De Witte,
francophone cosmopolite embourgeoisée, ne se parlent plus ; leur unique
consensus étant la certitude qu’elles n’ont plus rien à se dire : silence
familial, silence de l’histoire, nous sommes en Belgique, pas de doute…
Leur petit-fils orphelin de ses racines, réussit à les réunir à nouveau. Et
c’est autour d’une traditionnelle table en formica, dans la cuisine d’Eugénie,
que nous les retrouvons : les langues se délient et dessinent un pays commun tel
qu’il était il y a deux générations. Entre souvenirs de guerre, conflits
linguistiques du plat pays, anecdotes chaleureuses et contrastées sortant des
tréfonds d’une époque lointaine, Loin de Linden s’apparente à un bond dans le
temps où se croisent tant l’histoire nationale belge que les mémoires qui l’ont
traversée.
Un rendez-vous des existences, des silences et des héritages, à déguster de
nouveau et sans modération.
About
Situé en plein cœur de Bruxelles, le Théâtre des Martyrs s’inscrit dans le paysage théâtral de la ville depuis près de 25 ans. Il comporte deux salles de spectacles ; une grande salle à l’italienne et une petite salle. Sa programmation permet aux écrits d’hier comme d’aujourd’hui de refléter le présent tout en l’interrogeant et de pousser les spectateur·ices à la réflexion. Il vous accueille avec attention et bienveillance afin de participer à un théâtre au large répertoire et de penser ensemble le monde.
Place Des Martyrs - Martelaarsplein 22, 1000 Brussels, Brussels-Capital, Belgium
billetterie@theatre-martyrs.be
https://theatre-martyrs.be/
+32 (0)2 223 32 08
Le comptoir de la billetterie est accessible, du mardi au samedi de 16h00 à 18h00.