Théâtre des Martyrs

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D’une chambre d’hôpital à une scène de music-hall, l’autrice belge Mireille Bailly, nous emmène entre rires et larmes sur le fil délicat et implacable de la fin de vie. Christine, Thérèse et Julie se retrouvent désemparées au chevet de leur mère Bianca, nettement diminuée après son opération à cœur ouvert, tandis que leur père Oskar, désorienté sans son épouse chérie, rejoindra bientôt cette dernière à l’hôpital. Alités tour à tour, c’est par leur silence que les Patersonne, couple d’anciens artistes célèbres de music-hall, confrontent leurs filles à leurs souvenirs, leurs regrets, et leurs divergences criantes, mais aussi à leur incapacité bien réelle à gérer aujourd’hui la vieillesse de leurs propres parents. Guidée par une étrange maîtresse de cérémonie toute de gris vêtue, et relayée par la magie, la danse et la musique, alliées coutumières de la Compagnie Pop-Up, la plongée poétique au cœur de la transmission qu’offrent finalement Oskar et Bianca à leurs filles, à leurs fans et aux spectateurs du soir, est un hymne à l’amour et à l’art… plus forts que la mort.
Tout commence dans un atelier-bureau digne d’un philosophe du ratage. Un conférencier, documents plutôt libres à l’appui, cartographie pour nous l’histoire de Michael Kohlhass. Celle-ci s’inspire d’une chronique du 16ème siècle et raconte la vengeance d’un honnête marchand de chevaux victime de l’abus de pouvoir d’un baron local et d’une justice qui lui refuse réparation. Le souffle épique du conte va enflammer notre conférencier jusqu’à l’incarnation lorsque Kohlhass prend la tête d’une révolte et, incendiant villes et châteaux, instaure dans le pays une terreur qui déstabilisera le pouvoir en place. En s’opposant à la loi arbitraire juridico- politique, c’est jusqu’à l’abîme et la destruction de ceux qu’il aime que Kohlhaas fait du droit et de son respect un élément constitutif de l’être humain. Car sans le respect du droit, celui-ci n’est plus rien, dans une société qui n’est plus rien. Et donc à sa manière, en perdant la tête, notre héros ferait œuvre de refondation de la cité… Conçu au départ comme une pièce de théâtre, Michael Kohlhaas, qui était l’un des textes préférés de Kafka, est le plus ample des récits du dramaturge allemand Heinrich von Kleist, adapté ici par Jean-Marie Piemme. Récit et personnage, poème et dialogue se mêlent, dans un mouvement aux brusques accélérations succédant à de lentes spirales. Thibaut Wenger a choisi une forme simple et directe pour un univers pétri d’ambiguïtés et de doutes. Lui et sa comparse qui le rejoindra dans la danse, nous invitent à chevaucher dans un galop ce texte-météorite. A leur carnet de création d’un spectacle en devenir, ils convoqueront historiens, personnages historiques et créatures de foire, pour glisser sans crier gare vers le monde des spectres. Car chez Kleist, les passions de vengeance et de justice sont plus fortes que la vie. Une plongée vertigineuse dans l’âme humaine, audacieuse et essentielle…
1904. La révolution russe n’est pas loin, et dans Les Estivants de Maxime Gorki, les enfants d’un monde crépusculaire, ceux de l’ancienne aristocratie de fortune, se débattent au seuil d’une ère à venir. Rebaptisée Des Estivantes par le metteur en scène Georges Lini, la pièce s’inscrit toujours en 2024 dans la critique d’un ancien monde. Ce sont les vacances. De jeunes gens – pour la plupart – et de moins jeunes, se retrouvent le temps d’une soirée, autour d’un banquet sous forme d’auberge espagnole. Ils et elles sont ami∙e∙s. Du moins c’est le terme qu’ils et elles utilisent pour qualifier leurs relations. Mais l’alcool, les rires, les chants et les danses auront raison des faux-semblants. Et au fil de la soirée, les langues se délient, les rancœurs font craquer le vernis jusqu’aux éclats de voix et règlements de compte. C’est là que Varvara, lasse d’être empêtrée dans un mariage raté et d’être écrasée par les traditions d’un autre temps, va faire entendre sa parole au-dessus de la mêlée : elle refuse cette société régie par et pour l’homme et veut se libérer de ses chaînes. Et elle trouve en d’autres femmes de l’assemblée – Maria, Kaléria et Loulia -, les alliées de la révolte qui gronde. L’homme, accroché aux privilèges du patriarcat, d’abord sûr de son bon droit, se débat, titube et finit par perdre pied… Quatorze acteur∙ice∙s se réunissent autour d’une « déconstruction » festive et réparatrice en temps réel. Une expérience théâtrale à laquelle la Compagnie Belle de Nuit vous invite après le succès d’Ivanov d’Anton Tchekhov il y a deux saisons.
Adaptation libre d’Elisabeth Costello, ainsi que de trois nouvelles de L’Abattoir de verre de John Maxwell Coetzee, Prix Nobel de Littérature, le spectacle nous conte l’histoire d’une romancière célèbre, qui à l’automne de sa vie, se pose en lanceuse d’alerte, faisant fi de sa carrière, de l’opinion de sa famille et de toutes les moqueries potentielles. Personnage de fiction inventé par Coetzee et avatar de ce dernier, Elisabeth Costello peuple non seulement son œuvre, mais aussi celle d’autres artistes et activistes et est devenue une figure culte de l’écoféminisme, de la cause du vivant et de la cause animale. D’emblée, la relation entre le réel et la fiction s’impose comme un fil conducteur du spectacle. Nous sommes à Bruxelles, où John, son fils, s’adresse directement au public. Elisabeth Costello a fait le trajet depuis l’Australie pour recevoir le prix Stowe qui récompense tous les deux ans un écrivain célèbre. Très vite, la relation privilégiée et unique que mère et fils entretiennent devient sensible, c’est l’autre fil conducteur… Et au cours de la représentation, qui accepte sauts dans le temps et incursions de l’imaginaire, on assiste à ses entrées en scène entre maladresse, ratage, humour, colère et génie, où elle démasque le déni organisé de l’extermination des animaux plutôt que de parler de sa vie et de son œuvre romanesque. Instillant en nous par ses questions le doute créateur, elle nous apparaît à la fois héroïne tragique d’un lendemain menacé, et anti-héroïne du non-sens, prête à tout sacrifier – sa famille, sa gloire, le respect qu’elle suscite -, pour dénoncer notre inhumanité. Car « sauver son âme» a un prix : le sacrifice de la rationalité cartésienne et de la normalité sociale…
Lorsque le spectateur entre dans la salle, il découvre une grande table, trois chaises et trois femmes qui sont sur le point de voter à bulletin secret l’avenir de la Villa Grimaldi, centre chilien de torture et d’extermination sous Pinochet détruit juste avant le retour de la démocratie. Elles se rencontrent pour la première fois, savent seulement qu’elles sont choisies pour représenter le comité des survivants et s’appellent les unes les autres par le même prénom, Alexandra… On comprend qu’elles ont deux options : soit reconstruire la villa telle qu’elle était juste avant sa démolition, soit y créer un musée à l’esthétique contemporaine. Mais rien ne se déroule comme prévu : un bulletin inattendu va se glisser et les inciter à remettre en question le principe pourtant démocratique du vote, à envisager une autre issue, et à improviser un débat où se mêlent alliances, contradictions, accusations, négociations, jusqu’à la révélation d’un secret qui les relie. Parviendront-elles à trouver le chemin de la réconciliation ? Comment hériter d’un passé violent ? L’art a-t-il la capacité d’y répondre ? L’acte théâtral auquel invite Guillermo Calderón réussit la prouesse de constituer sous nos yeux un lieu de mémoire qui, selon la définition de l’historien Pierre Nora est un « lieu où une société consigne volontairement ses souvenirs ou les retrouve comme une partie nécessaire de sa personnalité ». Mise en scène pour la première fois en français en novembre 2022 au Théâtre de la Vie, cette parole concrète et grinçante épuise les faits pour les dépasser, entrevoir un futur et donner une résonance au présent. Elles aussi héritières d’une histoire et transmettrices de cette parole sans détour, les trois magnifiques actrices d’un théâtre sans artifice nous renvoient l’intensité du débat au-delà du spectacle.
Un chien cherche un maître d’adoption et jette son dévolu sur Roger, portier désabusé d’un grand hôtel et habitant solitaire d’une caravane. L’homme hurle, aboie et grogne face à l’animal qui ruse et louvoie derrière ses lunettes noires. En mode clownesque et en inversant les rôles, ça mord donc, pour mieux éveiller les consciences. Car tout passe au scanner : la pollution, la misère, la politique, les intellos, le service social, bref la vie ! Avec ce texte-phare de Jean-Marie Piemme, Vincent Goethals nous reconnecte avec humour et intensité à la charge critique de la parole sur une scène. Sans artifice et au service d’un texte central, le spectacle convie le spectateur au bord d’une autoroute, dans un espace réduit au strict nécessaire d’une vie en déroute. Et cette satire théâtrale sans pitié d’une réalité cruelle, voire intolérable, est confiée à deux artistes funambules et amoureux des mots : Thierry Hellin dans le rôle du bon gros cabot, et Vincent Ozanon, dans celui du grand escogriffe qui cache ses blessures. En se disputant ce beau morceau d’os, les deux comparses comptent bien nous mordiller, nous faire rire et nous émouvoir, forts de logorrhées typiques de la langue de Piemme et de joutes verbales pétries de bon sens populaire. Car attachement, il y aura, l’un pour l’autre, et de nous pour eux, malgré et au-delà de la férocité.
60 minutes pour être de son temps | Les vies en soi La rivière bien nommée est un récit-performance durant lequel Patrick Corillon manipule des livres-objets pour incarner un récit de voyage. Réunis autour d’une boîte aux trésors, les spectateurs peuvent écouter le narrateur raconter sa quête à la recherche des origines de la légende de la rivière bien nommée. Le mécanisme des objets, les illustrations, la typographie, la musique et la voix sont réunis au service du récit, à la façon des cantastories ou des kamishibai, ces petits théâtres de papier ambulants où les images servaient aux chanteurs et musiciens de points de départ pour raconter leurs histoires. Cet art traditionnel, dont on trouve les premières traces dans l’Inde du VIe siècle de notre ère, a traversé les époques et les frontières jusqu’à la nôtre. La rivière bien nommée est l’occasion pour Patrick Corillon de revisiter cette forme de narration. Il nous parle de la difficulté d’être vraiment de son époque quand on est imprégné de tant d’histoires qui ont traversé le temps.
60 minutes et des poussières | Les vies en soi À la manière des benshi* – conteurs japonais qui commentaient les films à l’époque du cinéma muet – Patrick Corillon projette et commente les pages d’un livre qu’il a lui-même dessiné. Il conte ainsi une histoire intime ponctuée de souvenirs de famille et de légendes lointaines invitant le spectateur à un voyage poétique et graphique. Le passage du livre à l’écran se fait grâce aux techniques informatiques les plus contemporaines (images animées interactives) et cherche à donner à son récit le même esprit d’inquiétante étrangeté qui hantait les premières séances de lanternes magiques ou de cinéma muet. * Au temps du cinéma muet au Japon, les benshi commentaient les films et jouaient les dialogues des acteurs pour un public largement analphabète (et donc incapable de lire les intertitres). Sans trop se soucier de suivre le scénario original, les textes étaient souvent improvisés par les benshi. À partir d’un même film, le benshi pouvait, au gré des séances et selon son humeur, raconter une histoire très différente. Certains d’entre eux étaient très populaires et souvent plus connus que les réalisateurs ou acteurs des films qu’ils commentaient. Il existe encore quelques rares benshi en activité de nos jours.
On the next drop I wanna see everybody jump. Are you ready ? Everybody fucking jump. And nothing else matteeeeeeers… Doum-doum-doum doum-doum-doum En 1993, Anvers est capitale culturelle de l’Europe et les murs de la ville sont couverts d’affiches sur lesquelles on peut lire à côté d’un petit joueur de fifre, la question suivante : L’art peut-il sauver le monde ? Trente ans plus tard, cette question n’a pas lâché Michaël De Cock, actuel directeur artistique du KVS, grande institution théâtrale flamande à deux pas du Théâtre des Martyrs. Pour tenter de répondre à cette question, le conférencier nous entraîne dans un véritable road-movie où art et imagination ont une part royale. Il nous raconte comment, excité un jour par l’atmosphère du plus célèbre festival de musique électronique, Tomorrowland, il embarque Paris Hilton – et nous, avec elle ! – dans une visite guidée des plus inattendues du célèbre théâtre, où l’on croisera Pippo et Fouad, mais aussi Jan Fabre et Prince, jusqu’à pousser une pointe à Santiago de Chili… L’approche de Michaël De Cock donne lieu à des discussions animées sur la « haute » et la « basse » culture entre l’homme de théâtre intellectuel et la « reine du selfie », à l’une ou l’autre lecture de poèmes, et même à des chansons… Sans se départir du cadre politique, il nous livre une défense brillante, honnête et parfois véritablement drôle de ce qui nous unit toutes et tous : la recherche de la beauté, de l’émotion et du bonheur.
"Emmenez-les manger une frite plutôt que de les guillotiner." François Ruffin, député français Ça va être chaud, baroque et doré, mais peut-être pas comme escompté… Ce soir à Versailles, se déroule une fête à laquelle toute la jet-set est conviée. Sous les coups de sifflet de la cheffe des domestiques et sous les plateaux chargés de nourriture, cela court dans tous les sens. Le champagne coule à flot et les musiciens ont loué des costumes d’époque pour l’« authenticité ». Jusque-là rien de surprenant : surconsommation et privilèges sont au rendez-vous. Mais les musiciens se voient refuser par le vigile l’accès au château. Comble de l’entre-soi et de l’intimité, on exige que les artistes baroques restent confinés sur le parking, autour d’un micro, et que la musique soit retransmise de la sorte au château. Et pour couronner le tout, celles qu’on appelle les bonnes ne sont pas autorisées à abreuver les artistes assoiffés. Car ce soir, il fait particulièrement chaud pour la saison. Bâtie sur les marécages, Versailles est moite, prête à vaciller. Personne ne remarque les gouttes d’or qui s’écrasent sur le sol du parking… Changement climatique et parfum de révolution dialoguent entrent eux dans ce semi-opéra à la fois loufoque et politique, pour le plus grand plaisir de nos sens, y compris le sens critique. Ça va déménager sur ce parking, car Sofia Betz a choisi de donner la parole aux coulisses de la fête, à la précarité et à la servitude. Et si l’assemblée de grands bourgeois préfère finalement entendre Titanic plutôt que Charpentier, c’est sans doute parce que Les Plaisirs de Versailles du compositeur baroque raille une classe sans cervelle et sans conscience du peuple qui gronde. Et si ce soir c’était le Grand Soir ?

Evenementen in het verleden

Un père et sa fille au Japon. Lui est artiste peintre et maître de Kendo. Il ne s’est pas préoccupé d’elle, n’a pas soutenu financièrement sa famille, ne sachant pas ce qu’impliquait d’être père… Petite, elle avait honte de lui et s’inquiétait d’être différente des autres ; elle voulait être forte, apprendre le kendo. Il lui disait « Tu es déjà plus forte que moi, tu n’en as pas besoin ». « Quelle est la chose plus importante dans la vie ? » lui avait-elle demandé. « La beauté » Iui avait-il répondu. Devenue artiste en Europe, elle lui demande « Pourquoi la vie est une telle souffrance ? ». « Parce que tu es toujours sur ton ego » Iui répond-il, ajoutant que l’unique moyen de s’en libérer est d’entrer en dialogue avec son art. « Hikidashi » signifie « tiroir » en japonais. La fille y a conservé tous les souvenirs de son père. Aujourd’hui, elle doit mettre sa tête dans ce tiroir. Elle y trouvera : un caillou, un petit insecte, un vieux porte-monnaie, vestiges intimes fourrés dans un meuble, sans sélection, ni jugement, qui ressurgissent sur le plateau. Elle n’a aucune expérience d’une relation normale père-fille. Néanmoins, cette pièce parle du sien, sans doute particulier au Japon, mais c’est son père. Ce qui pose une question plus générale : les hommes sont-ils aptes à être père ?
Sérieux, moche, compliqué, bref, pas sexy, voici quelques-uns des clichés véhiculés sur la musique contemporaine que dynamite joyeusement Sarah Defrise, élue « Jeune musicienne de l’année » en 2012 par l’Union de la presse musicale belge. Elle nous offre de découvrir une musique aussi décriée que méconnue, maniant l’humour caustique, dans un univers déjanté qu’elle nourrit de sa voix et de ses expériences, et une sélection d’œuvres interprétées a cappella. Entre les phonèmes, les onomatopées, les références aux comics américains, la musique minimaliste, la musique cyclique et même quelques élans orgasmiques, la soprano trouve le terrain de jeu idéal pour sa voix et ses talents de comédienne. I hate new music change notre façon d’écouter, en une exploration sensorielle, tonique et onirique qui se dessine main dans la main avec une artiste passionnée, généreuse et bienveillante. Une approche accessible, et drôle, de ce répertoire inhabituel, pourtant si proche de nous, qui s’adresse à tous les amateurs de musique.
Avec Marche salope (1), Céline Chariot aborde le sujet du viol, interrogeant le mutisme qui entoure les agressions sexuelles. « La vraie question n’est pas de savoir pourquoi je parle, mais pourquoi je n’ai pas parlé » écrit-elle. Aujourd’hui, elle part de constats et de statistiques, pas d’une colère irrationnelle ; elle ne veut ni écrire de fiction édulcorée, ni chercher à raconter l’histoire des femmes et encore moins la sienne, ni à brûler les hommes, ni à faire justice. En reconstituant une scène de crime, par le biais d’un geste accessible, fort, documenté et poétique, travaillant à un acte artistique qui puisse révéler une certaine beauté tout en pouvant transcender la douleur de gestes passés, Céline Chariot, qui n’est ni danseuse, ni actrice, mais photographe, aborde le viol via le regard, via des sensations qui ont pour but la réflexion, et rappelle que dans cette transgression odieuse qu’est le viol, le crime n’est pas uniquement celui du violeur mais surtout celui d’un corps social qui pointe la victime comme responsable de son sort. Dans une forme originale où se mêlent texte, performance, silence, regard, reconstitution du réel et onirisme, le spectacle invite puissamment à la transformation des traumatismes du passé en une puissante frénésie d’en finir avec les inégalités de genre. (1) La Slutwalk, ou « Marche des salopes », est une marche de protestation née en avril 2011 au Canada après qu’un officier de police ait déclaré : « Si vous voulez éviter de vous faire violer, il faut éviter de s’habiller comme une salope »
Dans Europe connexion, Alexandra Badea dépeint le trajet d’un lobbyiste qui met tout en œuvre pour modifier les textes de lois votés au Parlement Européen afin de servir les intérêts de l’agro- business. Le lobbyiste parle, il s’empare des mots avec élégance les lisse au besoin sous d’autres plus fréquentables. Qui pourrait douter de lui ? Pourtant derrière chacun de ses succès, réside un désastre pour l’humanité… Le G.I.E.C. crie. Le monde est sourd. Notre système économique engloutit le vivant dans une boulimie démesurée. Nous sommes devenus nos propres prédateurs. Les monstres mythologiques étaient censés inspirer au public « terreur et pitié », les nôtres, devenus prescripteurs des normes et règles de nos vies, y substituent « fiabilité et admiration », aidés du pouvoir de la rhétorique qui transfigure le réel, et dont Alexandra Badea nous invite à disséquer les mécanismes impitoyables, dans une écriture au scalpel aussi politique que poétique qui glace par le réalisme de ses propos, ne nous laissant à son issue qu’une rage salvatrice. La reprise d’un succès en phase avec l’actualité qui, sans didactisme, nous nous encourage à combattre l’inertie du temps.
« J’aime faire rire. Pour moi, c’est une politesse. » dit Léonard Berthet-Rivière. Quiconque a vu ou verra le spectacle qui plonge dans les arcanes d’une histoire abracadabradantesque, trouvera ce jeune homme et sa complice Muriel Legrand de fait immensément polis. Qu’on en juge un peu : soit un vaudeville à table (ou presque), quatre actes, treize personnages, un acteur et une actrice ; soit une vendetta ourdie par Gérard contre son concurrent Raymond, le jour où celui-ci vient enlever sa maîtresse, Inès, femme de Gérard, alors que Frédéric, le fils de Raymond vient demander la main de Sophie, la fille de Gérard, enceinte jusqu’au yeux… Tous les ingrédients d’un vaudeville roboratif et d’une folle journée réunis sous la plume magistrale de Roger Dupré dans laquelle s’engouffrent l’actrice et l’acteur surfant sur l’absurdité d’une partition frénétique où la fantaisie mène le bal, et dans lequel on passe de la lecture savoureuse à deux têtes à une danse endiablée à mille bras. Symbolique et poétique, loufoque mais jamais dingue, Le mystère du gant pousse la tradition vaudevillesque à son paroxysme, touche l’absurde et ne se refuse aucune astuce pour nous redonner goût aux histoires. Un pied de nez salutaire à la sériosité et à la morosité qui fait beaucoup de bien.
Louis est un homme un peu esseulé. Bénévole dans un centre de revalidation pour oiseaux, il croise une cane blessée, à l’œil vif mais fuyant, dont il va prendre soin chez lui et qu’il nomme Frou-Frou. Pourra-t-elle voler de nouveau ? Au prix de quelles péripéties ? Et dans cette rencontre lumineuse et poignante, qui aide l’autre finalement ? Premier texte du recueil Nous sommes à la lisière consacré aux alliances délicates entre la vie sauvage et le monde des humains, Frou-Frou, une vie sauvage, parabole d’une émancipation conjointe, étonne, bouscule et touche.
 Avec sa lucidité coutumière, Caroline Lamarche aborde les enjeux contemporains de la biodiversité tout en déployant une « histoire de bêtes » aussi concrète qu’extraordinaire. Elle nous enjoint à la nécessité de protéger le vivant, elle nous dit la violence sous-jacente de notre monde, la difficulté à s’y faire une place, nous alerte du risque aussi d’avoir un jour un ciel sans volatiles ; son écriture ramifiée trouve en Gaëtan Lejeune l’interprète idéal d’une narration aérienne et précise. Un seul en scène sur le fil, intime et fluide, mais aussi vif et sauvage, sur les interdépendances de l’animal et l’humain, et leurs fragilités mutuelles. En prise constante avec la terre, Frou-Frou, une vie sauvage nous fait rêver très haut, sourire au cœur.
Entracte c’est une pause entre deux moments d’agitation, un arrêt qui offre une place à la divagation, et c’est ici le récit de deux solitudes : celles d’une actrice et d’un acteur, maquillés, costumés, accessoirisés, mais sans partenaire et sans public. Revêtus des habits des rôles shakespeariens qu’ils ont joués ou rêvés de jouer – ceux d’Elisabeth Ire, d’Henry V, de Macbeth, de Lady Macbeth, d’Hamlet, de Roméo, de Juliette -, usant d’eux comme d’un bouclier pour se protéger de leurs angoisses, ils cherchent, loin des théâtres éteints, à résister à l’étouffement de l’isolement, retrouver du sens à leurs destins et à ne pas tomber dans l’oubli. Reclus l’une et l’autre dans leur cabane respective, ils effectuent inlassablement les gestes du quotidien, qui, sans jamais perdre en force, s’atténuent au fil du temps et de l’usure des corps affaiblis, faute de n’expérimenter que le nécessaire : manger, dormir, se changer, se laver.
 Entracte c’est le pari audacieux de revivre l’enfermement pour mieux s’en libérer : Lady Macbeth renverse du ketchup et la voilà avec les mains ensanglantées, Hamlet coupe du saucisson et le voilà avec un poignard dans la main. Un spectacle qui n’hésite pas à tirer les ficelles de l’absurde et du poétique pour nous plonger dans un univers de fantaisie dans lequel Delphine Bibet et Alexandre Trocki excelleront à n’en pas douter.
L’histoire du Woyzeck de Büchner est simple, efficace et glaçante : un jeune soldat se porte à la fois volontaire pour être cobaye auprès d’un médecin contre de l’argent et, comme subalterne de son capitaine de garnison, sombre dans la folie et poignarde sa femme. Avec Marie et Woyzeck, Pauline d’Ollone s’inspire de ce classique inachevé du dix-neuvième siècle, déplaçant l’action de la caserne d’hier à l’entrepôt de la grande distribution d’aujourd’hui, pour interroger nos systèmes de production actuels et les maux qui en découlent, abrutissant les égarés de l’existence qui s’y enrôlent pour subsister. Elle s’en empare sans rien lui ôter de sa réalité diffractée. À la négativité de la marchandisation de l’être humain considéré comme une ressource à optimiser, elle oppose le feu créateur de la musique et de la poésie : toujours plus de beauté, toujours plus de rêve et d’humanité, toujours plus de sororité et de fraternité. Elle l’enrichit d’un procès, celui du meurtre de Marie, du féminicide commis par Woyzeck, instruisant deux questions : La violence d’un homme est-elle aveugle à tout autre choix que celui « d’user » et donc de tuer ce qu’il considère comme sa propriété ? Ou bien n’est-elle que la conséquence de la petite graine qui a patiemment poussé, arrosée qu’elle était chaque jour par une idéologie patriarcale, capitaliste et sexiste ?
Dans L’apocalypse heureuse, Stéphane Lambert revient sur sa propre histoire pour en dénouer les nœuds et passe par le geste de l’écriture pour sortir du labyrinthe de la souffrance, dépeignant la mémoire traumatique de l’enfant abusé qu’il a été, en retraçant les contours pour pouvoir mener sa vie d’adulte sur un chemin plus apaisé. Convoquant de nouveau les faits vécus, il tisse une toile qui prend l’universel pour périmètre. La maison en Bretagne, la séparation des parents, le déménagement avec la mère, la mort d’un amour, la découverte d’un autre, la mort du père, les flux croisés de la vie passée et du temps présent, autant d’arrêts qui balisent « cet itinéraire du soi » qui permet d’aller vers demain.
D’une grande douceur, le texte nous dit l’urgence de vivre, d’aimer pour vaincre la mort et les spectres qui nous retiennent à eux, nous invitant à les affronter sans baisser les yeux. Écrit à la première personne du singulier, le récit nous invite à parcourir, sans faux-semblants, l’intimité des souvenirs, confrontant l’adulte avec les chocs, les culpabilités, et les non-dits qui ont marqué l’enfance. Jean-Baptiste Delcourt, en étroite collaboration avec l’auteur, adapte ce récit à la scène, avec pour désir d’en faire entendre la parole au présent et d’en faire partager l’esprit de conquête d’une renaissance.
Seule sur scène, une femme se fait l’enquêtrice de sa propre vie : la rencontre, la vie de couple, la confiance partagée, la fierté de celui qu’elle aime d’être son élu, les enfants qui naissent, sa vie professionnelle, le poste qu’elle a obtenu au culot, la boîte fondée avec un collègue qui atteindra bientôt les sommets. Elle nous ressemble, elle nous fait rire, cette femme, puis l’humour s’estompe, et le drame infuse peu à peu sa voix comme l’encre le fait sur un buvard et son récit, débuté comme un stand-up, se poursuit insidieusement en thriller rongé par l’acide d’une masculinité toxique, pour aboutir à la tragédie. Construit comme un puzzle, nous faisant passer du rire à l’effroi, Girls and boys est un texte où l’on retrouve le ton acerbe et critique, l’humour noir et le regard sans concession du scénariste et dramaturge qui ont valu à Dennis Kelly d’être catalogué comme écrivain d’un théâtre in-yer-face (théâtre coup de poing). France Bastoen, comme l’a écrit le journaliste Didier Béclard, « habite magistralement cette femme et l’actrice désignée meilleure interprète par les Prix Maeterlinck de la Critique en 2022, épouse les émotions contrastées de son personnage avec une force et une justesse impressionnantes ». Les six dernières représentations bruxelloises d’un spectacle magistral.

Over

Situé en plein cœur de Bruxelles, le Théâtre des Martyrs s’inscrit dans le paysage théâtral de la ville depuis près de 25 ans. Il comporte deux salles de spectacles ; une grande salle à l’italienne et une petite salle. Sa programmation permet aux écrits d’hier comme d’aujourd’hui de refléter le présent tout en l’interrogeant et de pousser les spectateur·ices à la réflexion. Il vous accueille avec attention et bienveillance afin de participer à un théâtre au large répertoire et de penser ensemble le monde.

Place Des Martyrs - Martelaarsplein 22, 1000 Brussel, Brussels Hoofdstedelijk Gewest, België

billetterie@theatre-martyrs.be

https://theatre-martyrs.be/

+32 (0)2 223 32 08

Le comptoir de la billetterie est accessible, du mardi au samedi de 16h00 à 18h00.